Jacques MICHON (1921-1989)
Le 9 mars 1989, Jacques MICHON nous quittait avec une infinie discrétion après une longue et terrible maladie assumée avec un courage, une lucidité et une sérénité qui ont forcé l’admiration de son entourage. La tradition de notre Faculté est de demander à un de ses élèves de lui rendre hommage. Ce soir cet honneur redoutable m’incombe à double titre, car j’ai été son élève, son successeur et aussi son gendre. Parler du Maître est simple car son travail et la transmission de son savoir ont été exemplaires, parler de l’homme est ambitieux car ses richesses étaient immenses mais partiellement inaccessibles malgré la qualité de notre cohabitation pendant 20 ans. Parler de sa mort ne peut que nous ramener à nos croyances fondamentales et à nous éloigner des aspects parfois dérisoires de la vie hospitalo-universitaire.
Fils de Paul MICHON, Professeur de clinique médicale à NANCY, aîné des quatre fils, Jacques MICHON a baigné depuis sa petite enfance dans le monde médical et universitaire. Mais sa première passion fut la mer, il voulait faire Naval, la vie en a décidé autrement et il entreprit des études médicales avec la traditionnelle course d’obstacles des concours. Externe en 1941, Interne en 1943, engagé volontaire, il fait son service militaire en 1945-1946 en Algérie. Il passe le clinicat en 1948 et l’assistanat en 1951, il travaille alors au sein de l’équipe de la clinique chirurgicale A sous l’autorité du Professeur CHALNOT auquel il voua toujours une profonde admiration pour ses talents de chirurgien, d’enseignant et son dynamisme de chef d’école. En 1955, c’est le chirurgical et l’agrégation en 1958. Ayant peu de goût pour les jeux de la politique hospitalo-universitaire, il attendra 1972 pour être nommé Professeur à titre personnel. Dans des conditions matérielles et psychologiques difficiles, il est nommé chef de service en 1970 à l’Hôpital Jeanne d’Arc.
Très tôt dans sa carrière, il est attiré par la chirurgie traumatologique et ses travaux dans ce domaine sont nombreux. Deux Maîtres vont lui permettre de mener à bien une démarche cohérente afin de faire de la traumatologie des membres, la synthèse de l’orthopédie et de la chirurgie plastique. La main, par sa complexité, est l’organe qui exige un tel mariage des connaissances. Ce cheminement s’effectuera grâce aux relations privilégiées qu’il développera avec deux hommes d’exception : Robert MERLE-D’AUBIGNE qui règne en Maître depuis l’Hôpital Cochin à Paris sur le monde de l’orthopédie et Daniel MOREL-FATIO qui développe avec une imagination sans limite une activité très novatrice en chirurgie plastique et reconstructrice à l’Hôpital Vaugirard.
En 1955, fort de son expérience en traumatologie des membres, acquise dans le service du Professeur CHALNOT, il s’alliera avec son ami de toujours, Raymond VILAIN pour combattre les excès d’indication des lambeaux à jambes croisées pour couvrir les pertes de substance des membres inférieurs et recommandera la réalisation de lambeaux locaux, travail prémonitoire car cette doctrine est actuellement reconnue de tous les traumatologues. En 1957, il se fait l’avocat de l’ostéosynthèse centro-médullaire des fractures pour faciliter le traitement des lésions des parties molles et limiter le risque d’ostéite fracturaire. Ce travail sera présenté l’année suivante à l’Académie de Chirurgie par Robert MERLE-D’AUBIGNE et contribuera à faire évoluer un débat prolongé et passionné sur le traitement des fractures ouvertes.
Jacques MICHON, à partir de 1955, développera avec Claude VERDAN de LAUSANNE une importante activité dans le domaine de la chirurgie des tendons fléchisseurs. Leurs travaux sur la réparation primaire des tendons fléchisseurs dans le canal digital viendront « secouer » le dogme de la réparation secondaire solidement établi par l’école américaine de STERLING-BUNNEL. Le rapport qu’il présentera en 1961 au congrès de la Société Française de Chirurgie Orthopédique et Traumalologique demeure la référence dans ce domaine.
Jacques MICHON développe son esprit critique sur chaque pathologie de l’appareil locomoteur, il est fasciné par Sir Sydney SUNDERLAND, neurophysiologiste australien qui réalise un travail de dissection fasciculaire des nerfs qui ne peut que désespérer le chirurgien qui ne savait réparer alors que leurs enveloppes. La révision en 1961, par Pierre MASSE de 175 de ces opérations nerveuses, le conduira à proposer une réparation plus précise des plaies des nerfs périphériques. C’est sa rencontre à NEW-YORK avec James SMITH qui le convaincra d’utiliser systématiquement le microscope pour réparer les plaies des nerfs. Avec Sir Herberth SEDDON qui accumule une importante expérience des plaies des nerfs à la suite de la 2ème guerre mondiale en Angleterre, il présentera en 1966 à la Société Internationale d’Orthopédie et de Traumatologie une nouvelle approche microchirurgicale. L’accueil du microscope en salle d’opération sera dubitatif, condescendant, railleur, et pourtant, aujourd’hui, aucun chirurgien n’envisage de réparer une plaie nerveuse sans l’aide d’un microscope opératoire. Jacques MICHON développe une intense activité dans le domaine de la pathologie nerveuse et publie en 1971 la première édition d’un traité sur la chirurgie nerveuse rassemblant les ténors mondiaux tels que SEDDON, BROOKS, MOEBERG, SMITH.
Revenons en 1965, Jacques MICHON présente alors avec Jean GOSSET un rapport audacieux sur la traumatologie fraîche de la main à l’Association Française de Chirurgie. L’accueil par ses pairs, entre autre Marc ISELIN, sera source d’échanges vifs et passionnés, ce dernier défendant le concept de l’urgence avec opération différée alors que les rapporteurs démontrent le bénéfice d’un traitement global des lésions en urgence. Cette doctrine, complétée grâce à l’apport des techniques de microchirurgie vasculaire est présentée à l’Académie de Chirurgie en 1976 sous la forme d’un travail réalisé en commun avec Guy FOUCHER et nous-mêmes. Cette doctrine qui prendra le sigle de « T.T.M.P. » (Traitement Tout en un Temps avec Mobilisation Précoce) a depuis, été adoptée par la plupart des équipes de chirurgie de la main. 1976 fut également une étape importante dans la transformation de l’activité du service de Jacques MICHON. C’est cette année là que nous réalisons avec succès la première replantation de membres totalement amputés, cette première n’est pas improvisée, elle est le fruit d’une longue préparation à l’Institut de Recherches Chirurgicales que dirige alors Roger BENICHOUX. En effet, dès 1974, à 53 ans, Jacques MICHON retourne au laboratoire pour réaliser des microsutures de vaisseaux de lapins de moins d’un millimètre de diamètre. Trois jeunes chefs de clinique sont à ses côtés pour s’intéresser à cette microchirurgie vasculaire : Claude GUIBERT qui s’orientera ensuite vers la chirurgie viscérale, Guy FOUCHER qui viendra toutes les semaines de STRASBOURG et créera ensuite le SOS Mains STRASBOURG internationalement reconnu, et nous-mêmes.
Cette maîtrise de la chirurgie des petits vaisseaux qui va bouleverser la traumatologie et en particulier celle de la main, permet revascularisation, replantation mais exige une parfaite organisation de l’urgence. Certes, l’Hôpital Jeanne d’Arc n’était pas le lieu idéal pour développer une activité d’urgence et c’est une fois encore grâce à sa passion qu’il partageait avec son équipe et avec l’aide indispensable des anesthésistes, qu’il réussit à créer le Service Assistance-Main. Cette unité de soins fonctionne depuis 15 ans en continu jour et nuit, toute l’année pour assurer la traumatologie complexe de la main et répondre ainsi aux besoins de l’Est de la FRANCE, du LUXEMBOURG et d’une partie de la BELGIQUE. Fort de cette expérience, il souhaite organiser au niveau français, puis européen, les services d’urgence de la main. Avec Raymond VILAIN à qui l’on doit le sigle SOS Mains et Guy FOUCHER, il créera la Confédération Européenne des Services d’Urgence de la Main, aujourd’hui forte de 25 centres. Au moment où il nous quitte, son service sera reconnu comme l’unité de chirurgie de la main la plus active en Europe.
Sous son impulsion, Jean-Pierre DELAGOUTTE, son premier Agrégé, développera avec talent la chirurgie rhumatismale, ses travaux seront également importants dans le domaine des infections de la main, des brûlures, des malformations congénitales. Sa documentation clinique et photographique est immense. Qui n’a pas rencontré une seule fois Jacques MICHON avec son éternel appareil photo ? Ses documents accumulés seront hélas insuffisamment exploités. Au moment où il nous quitte, il nous laisse 30000 photographies de malades parfaitement identifiés, documents qui lui servaient pour réaliser un enseignement recherché par de nombreux chirurgiens désirant se spécialiser en chirurgie de la main. Beaucoup de collègues français auront fréquenté cet enseignement organisé pendant plus de 10 ans à MONTPELLIER avec Pierre RABISCHONG, Yves ALLIEU. François BONNEL, Raymond VILAIN, Raoul TUBIANA et bien d’autres.
Tous les ans, à NANCY, il organisait un cours de base et un cours supérieur de chirurgie de la main. Enfin, Jacques MICHON voyageait pour créer d’autres unités de chirurgie de la main à l’étranger ; c’est ainsi que vers les années 1970, il créa le service de chirurgie de la main de TEHERAN qui est, malgré tous les événements, toujours en activité. Il contribuera également à créer la Société Turque de Chirurgie de la Main et participera au développement de l’unité de chirurgie de la main à ISTAMBUL. Il développera également une intense activité dans le domaine des publications et créera avec Raymond VILAIN une collection d’ouvrages sur la chirurgie de la main qui aura un important succès et sera édité en anglais et en espagnol. Fondateur de la Société Française de Chirurgie de la Main avec Raoul TUBIANA, Raymond VILAIN, Pierre RABISCHONG et Jacques DUPARC, il assumera la présidence de cette Société en 1972 puis en 1979, il créera le chapitre de chirurgie de la main au sein de la Société Française de Chirurgie Plastique dont il sera le Président en 1980. Encouragé par la longue amitié du Professeur Alain LARCAN, il sera élu membre associé de l’Académie de Médecine en 1984. La même année, il sera nommé Membre d’Honneur de la Société Américaine de Chirurgie de la Main, distinction accordée à ce jour à seulement cinq autres chirurgiens dans le monde.
Nous attendions tous sa retraite paisible pour qu’il puisse nous faire profiter de son immense expérience en rédigeant un traité sur la chirurgie de la main et la microchirurgie. Et puis voilà qu’au début de l’année 1988, alors qu’il était apaisé sur le plan personnel et savait que la continuité de son service serait assurée, nous remarquâmes au cours d’une visite dans son service, le ralentissement à peine perceptible de son pas et l’apparition d’un discret essoufflement. Quelques jours plus tard, le diagnostic lui était donné dans toute sa vérité, comme il l’avait toujours exigé, par un collègue qui devint son ami et qui sut lui présenter la situation avec clarté et une formidable conviction dans l’approche thérapeutique. Jacques MICHON, confiant, reprit alors le bistouri entre ses séances de chimiothérapie et de radiothérapie et vécut avec beaucoup de patience le cheminement de tout malade qui navigue dans l’immense structure hospitalière. La relation exceptionnelle qu’il développa dans cette nouvelle amitié avec un de nos collègues, lui apporta confiance et apaisement. La présence à la fois discrète et sans faille de cet ami, les échanges et parfois même la confrontation des idées et des convictions lui furent d’un grand secours pour assumer avec sérénité les progrès du mal. Cette sérénité même, il sut la faire partager à sa famille et notamment à son épouse qui ne le quitta pas d’un instant et l’entoura avec tant de tendresse et de courage.
Jacques MICHON ne voulait pas déranger, il était pudique, secret, la confidence était rare. Respectueux de la différence des autres, il ne jugeait pas les hommes, ce qui ne l’empêchait pas d’être critique à l’égard des systèmes qu’ils sécrètent. Il considérait que le travail devait se faire en profondeur et que seul le temps permettait de clarifier les doctrines. Bien que connu dans les sociétés savantes par la rigueur et l’honnêteté de ses travaux, il vécut une longue traversée du désert sur le plan hospitalo-universitaire ; ceci le touchait probablement mais il n’en laissait rien paraître. Il fut reconnu sur le plan international avant de l’être dans sa propre Faculté. Lucide sur son cheminement nancéien, il avait un souci permanent depuis les années 1970 celui de créer une école pour transmettre ce qu’il savait. Fils du Professeur MICHON, il savait ce qu’était la suspicion de compétences sur le « fils du patron », il donna alors au « gendre de patron » que j’étais, une très grande liberté pour développer ses propres sujets et le laissa partir à de nombreuses reprises aux Etats-Unis pour se former et s’exprimer scientifiquement sous sa seule responsabilité. Cette démarche d’une grande lucidité, d’une grande générosité éclaire la richesse de Jacques MICHON.
Très féru de philosophie orientale et de métaphysique, Jacques MICHON a développé durant toute sa vie, une vie intérieure intense et un idéal spirituel très élevé que seuls quelques intimes ont connu. C’était un homme discret, secret même, qui se confiait peu mais écoutait beaucoup, comprenait les difficultés des autres et ne jugeait pas. Il avait toujours affirmé craindre une mort brutale, il désirait, conformément à ses convictions, voir venir sa mort pour s’y préparer. Son voeu s’est réalisé, ses proches l’ont vu jour après jour accepter avec une grande sérénité la progression inexorable de son mal. Il croyait en Dieu, il croyait à la Vie après la vie, il a désormais la réponse à toutes ses questions.